Toute la France court
Je n’avais pas prévu d’ajouter un nième commentaire sur la communication bondissante du plus célèbre jogger de France. Bien sûr, j’en ai entendu parlé à chaque flash d’information radio ; je l’ai entraperçu à la télévision, courant à Paris, avec Fillon, sans Fillon, sautillant à Brégançon ; je l’ai vu à la une de Libé : tenant son portable en main, short Nike, sweat-shirt trop large pour masquer l’abdomen qui prend outrageusement ses aises ; mais j’avais envisagé un autre sujet.
Et puis j’ai eu l’idée saugrenue d’aller courir, moi aussi, ce dimanche matin grisâtre ; enfin plus exactement on eu l’idée pour moi et je n’ai guère eu le courage de décliner l’invitation. Ce n’était donc pas par ralliement illimité et inconditionnel envers notre Guide que je m’élançai vers la zone verte, d’une foulée qui ne lui aurait pas déplu.
Le départ est facile, tout en descente ; le plus dur, c’est le passage des vingt minutes, c’est le moment où l’on se dit que le petit digestif si agréable de la veille était de trop ; ensuite cela passe, le moteur se met à fonctionner plus rondement, sans trop d’effort, pour un temps.
Il est relativement tôt, et comme la France n’est pas encore au bon rythme, peu de candidats à l’éreintement volontaires sont présents. A cet endroit, l’allée principale est rejointe par un chemin de traverse qui s’y accroche dans une douce déclivité. Allongé dans le sens de la pente, un homme gît, d’autres, debout derrière lui, regardent dans sa direction sans lui venir en aide. Mais l’homme se lève d’un bond et, du revers de la main, époussette ses habits terreux ; il porte autour du cou un appareil photo dont l’objectif proéminent dénote le professionnel. Ses cibles le dépassent et virent dans ma direction. Je n’ai pas reconnu de suite le plus âgé, un peu bedonnant, qui court maintenant vers moi un sourire avenant aux lèvres. Ce n’est que lorsqu’il arrive à ma hauteur que le reconnais : il s’agit de mon maire, UMP, ou du moins assimilé. A-t-il reçu des consignes ? A-t-il précédé les désirs de son maître ? A-t-il juste fait comme toute la France bleue : courir et le faire savoir ? Ou alors le jogging va-t-il devenir le remède universel au mal français ? La relance par la consommation de shorts, de tee-shirts et de chaussures de sports ; la résorption du trou de la sécurité sociale par le sport imposé à tous : courez si vous voulez être remboursé de vos soins de santé.
La France court, la France bleue pour l’instant, puis tout le monde devra s’y mettre : courir pour être en bonne santé, courir pour montrer que l’on est performant, courir pour attraper un nouvel emploi, courir pour mériter de rester en France. Je cours, il court, ils courent, d’autres bientôt nous rejoindrons. Toute la France va courir.