La boutique Orange des suicides

Publié le par PL

Dans la boutique éponyme du Magasin des suicides de Jean Teulé, les habitants d’un monde post-moderne, dans lequel les soirées se passent au rythme des corps qui tombent du haut des tours, peuvent trouver mille façons d’abréger leur vie torturée. Dans le Magasin des suicides, le sourire incongru du petit dernier des propriétaires sera l’annonce d’un heureux changement.

Dans la boutique Orange des suicides, on fabrique des suicidés à la chaîne. Il n’y a pas d’enfant souriant pour changer tout cela. A la place, il y aura (peut-être) une poignée de psychologues et de médecins du travail qui feront ce qu’ils peuvent.

 

Orange et les prisons françaises détiennent les records de suicide de l’année. Le  magasin des suicides n’existe pas, mais les moyens les plus simples sont souvent très efficaces : couteaux, ponts pour les-uns, pendaison et boîtes de conserve pour les autres. Qu’y a-t-il en commun entre ces deux mondes apparemment différents ? La recherche de l’élimination d’un être embarrassant. L’ancien fonctionnaire doté d’un statut inattaquable et devenu gênant d’un côté. Le délinquant, qu’il faut extraire de la société et, surtout, punir (car « les Français ne comprendraient pas ») de l’autre.

L’ancien fonctionnaire dérange : on l’imagine moins malléable que les salariés en CDI ou CDD. Moins adaptés au changement diraient les DRH, trop dorloté par l’état a énoncé Christophe Barbier (directeur de la rédaction de l'Express). L’ancien fonctionnaire ne peut pas être viré, alors on l’élimine à petit feu, jusqu’à ce qu’il craque. Et certains partent pour toujours.

Le délinquant dérange aussi, forcément, mais la détention est-elle une bonne solution dans tous les cas ? Des trois missions de la prison : extraire l’individu de la société, le punir, et le réinsérer, seules les deux premières sont effectives. La réinsertion consiste, pour sa part, essentiellement à faire d’un petit dur, un gros dur : la prison constitue ainsi l’ascenseur « social » du délinquant.

Mais la comparaison ne s’arrête pas là. Dans les deux cas, on assiste à la volonté de ne pas s’attaquer aux causes du problème. Comme il n’est pas possible de ne rien faire, des solutions, au mieux légères, au pire affligeantes, sont élaborées. Parmi ces dernières, citons la distribution de pyjamas en papier aux détenus afin qu’ils ne puissent pas se pendre avec !

En attendant la création d’un Ministère des Solutions à la Con[1],[2], pendant français du Ministry of Silly Walk des Monthy Pyton’s, en voici quelques-unes : à quand la suppression des viaducs à moins de 50 km du domicile et du lieu de travail d’un employé Orange, l’utilisation exclusive de locaux de plain-pied, l’installation de portiques électroniques pour vérifier que les salariés n’ont pas de canif leur permettant de s’éventrer sur leur site, la diffusion de sonates de Mozart dans tous les bureaux pour adoucir les mœurs, l’introduction de neuroleptiques dans les distributeurs de café, un plan clowns « rire un peu pour mourir moins », ou plutôt, soyons modernes, « laugh more, die less ». Quant aux prisons, pourquoi ne pas demander aux codétenus  de se surveiller les uns les autres : pas de suicide dans l’année = 5% de remise de peine ; un suicide = 10% de malus. De l’innovation que diable !

 

Il y a quelques années, Orange s’appelait France Télécom et était un service public. Orange fait désormais partie des sévices privés. Les ex-fonctionnaires en déroute seront bientôt rejoints par d’autres « inadaptés » : les gaziers vont-ils se gazer, les postiers se jeter sous les roues des autobus ? Quant aux profs, en attendant la privatisation de l’école, les élèves s’occupent d’eux.



[1] Vous pouvez laisser en commentaire la personne que vous verriez le mieux en  Ministre des solutions à la con. Je ne suis, pour ma part, pas candidat.

[2] Et que penser de l’initiative (authentique !) consistant à « payer » des élèves pour aller à l’école. N’aurait-elle pas sa place dans ce beau ministère ?

Publié dans leplec

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