La magie de Noël

Publié le par PL

Cette première chronique de 2008 ne débutera pas par des vœux convenus mais par un avertissement sur le texte qui suit. Avertissement adressé plus particulièrement aux membres de ma famille, afin d’éviter tout malentendu qui pourrait conduire à une brouille sur plusieurs générations : j’ai passé un excellent Noël et ce texte est une pure fiction. Surtout, toi qui par inadvertance arriverais sur ce site et croirais reconnaître en tel ou tel personnage l’un de tes traits les moins bien assumés, soit bien assuré qu’il ne s’agit pas là d’un acte malicieux de ma part mais juste d’une coïncidence. Et, si malgré ces précautions tu te sentais encore la cible de mes propos, soit assuré de mes plus plates excuses.

Noël, fête païenne récupérée par les chrétiens. Fête retournée au paganisme moderne de la consommation débridée : fête du foie gras, des huîtres, des dindes, des fabricants de jouets chinois, des Wiis, des Playstations, des iPhones, des appareils à raclette, des machines à pain. Noël, fête de la famille par excellence. Ah, le plaisir de se retrouver tous ensembles, d’échanger des cadeaux, des plus humbles aux plus coûteux, des plus personnels aux plus banals, des plus attentionnés aux plus ironiques. Noël, la joie d’engloutir ensemble des mets de choix. La jubilation d’échanger, le plaisir retrouvé des mots et de la verve, mais aussi la possibilité de faire un état des lieux représentatif de la pensée politique des français.
Ils sont presque tous arrivés, sauf Brigitte, la « bourge » de la famille, celle qui a réussi en divorçant du fils d’un riche commerçant. Brigitte, elle est toujours en retard, et tout le monde l’a attendue une bonne heure avant de se décider à lancer l’apéritif « qui la fera arriver ». C’est la gauche qui ouvre les hostilités. Pas la gauche alter, qui est pour l’heure affalée dans le fauteuil en cuir craquelé, les écouteurs d’un Ipod vissés dans les oreilles, la gauche bobo, celle qui se tâtait, qui hésitait entre la rhétorique mélodieuse du paysan béarnais et les errements chaotiques de la madone des marais : « alors Gérard, t’en es content de ton nouveau Président ». Gérard, il est de droite depuis toujours, il est né à droite, il mourra à droite. Pourtant il n’est pas millionnaire Gérard, il ne paie pas l’ISF, il a juste une petite retraite, et deux ou trois appartements qu’il ne loue qu’à des bons français triés sur le volet. Pour lui, la gauche c’est le chaos, la chienlit, les impôts, les étrangers. La droite c’est l’ordre, la bonne gestion et les charters vers Bamako. « Au moins il bosse, lui ! Je sais pas trop où il va, mais il y va ! ». C’est Jean-Pierre qui va répliquer. Jean-Pierre, lui, il est communiste. Il est perdu, Jean-Pierre, il se sent un peu orphelin. Depuis que le mûr est tombé, le PC ce n’est plus vraiment ça, et une proportion non négligeable de ses camarades de cellule a rejoint le FN. Il a voté Buffet parce que c’était le seul choix possible pour lui, mais il savait bien que c’était un coup d’épée dans l’eau. Mais celui qui l’énerve le plus, ce n’est pas Sarko, c’est Besancenot : un beau parleur qui ne fera jamais rien et détourne les gens du PC. « Et t’en penses quoi, Gérard, de sa balade en Egypte payée par un milliardaire ? ». La réponse fuse : « Et Mitterrand alors, il y était pas allé en Egypte peut-être, avec sa maîtresse, son gosse caché ; et payé par tes impôts en plus ! Ah mais là, les journalistes ils ont rien dit !
         Et les 15 milliards de cadeaux aux riches t’en a vu la couleur toi ?
         Y faut bien qu’il y ait des riches pour faire travailler les pauvres, s’ils partent tous à l’étranger comment on va faire ? »
La graisse jaune dégouline lentement le long des foies gras qui attendent la tante Brigitte depuis trop longtemps. La deuxième tournée est bien entamée quand elle arrive en rangeant son quatre-quatre Mercedes à cheval sur la pelouse. Elle aurait pu se serrer un peu, mais un quatre-quatre, faut bien que ça serve. Elle entre. Elle porte tellement de colliers, bracelets et autres ferrailles coûteuses que quand elle se déplace, on a l’impression d’entendre le traîneau de « Jingle Bells ». Elle n’est pas méchante Brigitte. Elle a juste la haine d’être née dans la mauvaise famille, une famille de prolos améliorés. Toute sa vie n’a été que tentatives de fuite de son milieu. Petite, elle voulait devenir riche. Elle y a pas mal réussi : elle est la seule ici à payer l’ISF. Alors l’attaque est facile : «Alors Brigitte, combien il t’a fait gagner Sarko ? ». Brigitte, contre toute attente, vote à gauche, une autre tentative d’échapper au fatum : « Tu sais bien que j’ai voté Ségolène ! D’ailleurs je ne comprends pas qu’il y en ait tant parmi vous qui aient voté pour l’autre nul ! Qu’est-ce que vous avez à y gagner, à part de travailler plus et de payer plus ? ». C’est la jeune Valentine qui lui répond. Elle gagne le SMIC, sa voisine qui « vit des allocs », qui ne travaille qu’épisodiquement et au noir vient de s’acheter un écran plat géant, en s’endettant sur deux ans mais ça elle ne le sait pas. « Ouais, ben au moins il va remettre de l’ordre et y aura moins de gens payés à rien foutre, pendant que moi je me lève tous les matins. 
         Et tu crois que tu vas gagner plus pour ça ?
         En tout cas c’est pas la gauche qui y aurait changé quelque chose. Et puis pour toi c’est facile, t’as les moyens de voter à gauche, toi ! »
Le repas commence enfin. Le Sauternes du foie gras suit le Gros Plant des huîtres. Le Morgon accompagne la dinde et échauffe les passions, les langues se délient un peu plus en délivrant leur florilège de haine ordinaire : « Le problème, c’est quand même tous ces étrangers qui viennent chez nous et qui font des gosses pour toucher les allocs. » ; « Moi, j’ai rien contre les étrangers, tant qu’ils restent chez eux ; d’ailleurs je vais chaque année une semaine au Maroc » ; « Ouais mais là-bas c’est pas les mêmes, ici on n’a que les racailles »…

Magie de Noël, douce nuit, sainte nuit. Les plus virulents étaient tous, la veille, à la messe de minuit, à fêter la naissance d’un petit juif arabe représentant en amour universel.

Publié dans leplec

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article